CPI: quelle sentence pour le chef janjawid Ali Kushayb, coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité?

Reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, l’ancien commandant Janjawid, Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, dit Ali Kushayb, sera de nouveau devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI) à partir du lundi 17 novembre. Pendant trois jours, les procureurs, les avocats de l’accusé et des victimes vont débattre de la sentence à infliger au Soudanais.

Quelle sentence pour les vingt-sept crimes contre l’humanité et crimes de guerre dont Ali Muhammad Abd-Al-Rahman a été reconnu coupable le 6 octobre dernier ? Quelle peine exigeront les juges contre l’ex-chef janjawid pour les meurtres de civils, les passages à tabac, les viols – en public et collectifs – les centaines de maisons pillées puis brûlées, les villages dévastés, les milliers de départ en exil ? L’accusation s’apprête à requérir la perpétuité.

Ali Kushayb, de son nom de guerre, commandant janjawid de l’Ouest du Darfour, fut l’un des exécutants de la contre-insurrection menée par le régime militaro-islamiste d’Omar el-Béchir en 2003 et 2004, pour mater la rébellion.

À La Haye, où il s’est volontairement rendu en 2020, il a fait appel de sa condamnation et continue de clamer son innocence. Il demande sa libération, assortie d’une simple amende, ou, par défaut, une peine maximum de sept ans de prison.

Justice n’est pas vengeance

Les 1 592 victimes, représentées dans le procès, réclament « justice » mais « pas vengeance », selon leur avocate, Natalie von Wistinghausen. Interrogées lors d’une mission au cours de l’été, puis par visioconférence, « un grand nombre d’entre elles ont insisté sur leur désir de ne plus jamais revoir M. Abd-Al-Rahman – d’autant plus qu’elles craignent qu’il ne commette de nouveaux crimes », alors qu’une nouvelle guerre ravage le Soudan depuis 2023, opposant les Forces de soutien rapide du général Muhammad Daglo, dit Hemetti, aux forces régulières du général et président Mohammad Al Burhan.

Dans un article saluant le jugement rendu par la CPI, l’expert Alex de Waal, premier témoin appelé à la barre lors de l’ouverture du procès, le 5 avril 2022, rappelle qu’alors que les témoins défilaient à la barre de la Cour à La Haye, aux Pays-Bas, en 2023, « une nouvelle guerre éclatait au Soudan. Les héritiers des Janjawids, les Forces de soutien rapide (FSR), semaient la terreur dans les mêmes régions, tuant, incendiant et violant. Cette fois, ils sont équipés de téléphones portables et diffusent des vidéos de leurs atrocités, affichant leurs crimes sans le moindre secret. »

Une plongée dans l’histoire des Janjawids

Les 355 pages du jugement rendu le 6 octobre sont une plongée dans l’histoire des Janjawid. Selon plusieurs témoins, sur les 78 entendus au cours du procès, le groupe paramilitaire a été créé suite à l’attaque de l’aéroport d’El-Fasher par les rebelles, le 25 avril 2003.

Le gouvernement a recruté dans les tribus arabes. À la faveur de cette guerre, le pharmacien de Garsila, Ali Abd-Al-Rahman, est devenu commandant janjawid. Le gouvernement a établi « un plan d’urgence » pour réprimer la rébellion et « contrôler les zones habitées » par les soutiens supposés des rebelles, dont les habitants d’ethnies Four, Massalit et Zaghawa. « Nous allons vous fournir des armes, un salaire, et nous nourrirons vos chevaux », aurait dit l’ex-ministre de la Défense, Abdel Rahim Muhammad Hussein, lui aussi poursuivi par la Cour, mais en fuite.

Ce sont les forces armées soudanaises, dont les services de renseignements, qui ont distribué ces armes aux Janjawids, « des armes et des munitions, comme les goriounovs [mitrailleuses de type soviétique utilisées durant la Seconde Guerre mondiale] et les kalashnikovs », dit le jugement. Entre août 2003 et mars 2004, « des avions en provenance de Khartoum ont régulièrement livré des caisses d’armes à différents endroits de Mukjar », selon les juges.

Les salaires étaient envoyés par les ministères de la Défense et de l’Intérieur aux Janjawids. Le gouvernement offrait des compensations pour les morts ou les blessés. Le ministre Ahmed Harun visitait la zone en hélicoptère. Il incitait à « finir le travail de nettoyage ». Lors des attaques, le condamné Abd-Al-Rahman, vu armé d’une hache par plusieurs témoins, assénait à ses hommes : « Tout ce que vous voyez, vous devez le tuer ou l’anéantir. Aucun homme ne doit rester vivant. »

Les victimes demandent un « exil à vie »

Pour nombre de victimes, dont beaucoup vivent encore dans des camps de réfugiés, vingt ans après les crimes, Abd-Al-Rahman doit connaître une forme « d’exil à vie », explique en substance Natalie von Wistinghausen, dans un mémoire déposé à la Cour.

L’idée qu’il puisse un jour revenir au Darfour suscite « un traumatisme immédiat et profond, ainsi que de la frustration ». Ainsi, pour Souleyman, cité dans ce mémoire, si le condamné revient, « la douleur restera vive dans le cœur des victimes. S’il n’est plus là, on l’oubliera. »

Il aurait souhaité la mort pour son bourreau, mais la peine maximale prévue par la Cour est la perpétuité. Au Soudan, c’est « œil pour œil », dit un autre, alors « ce serait la mort ». Mais pour Laila, « même s’il était tué sous nos yeux, ou s’il était coupé en pièce, cela ne ramènerait pas les milliers d’âmes qu’il a tué ».

L’urgence

Pour Youssef, dont le nom n’a pas été rendu public par la Cour pour des raisons de sécurité, « s’il est condamné à seulement quelques années et qu’il revient au Soudan, je pense qu’il recommencera à planifier d’autres crimes. » Abd-Al Rahman a transformé leur vie en « un cauchemar vivant ».

Vite, implore aussi ces survivants du Darfour, car les victimes meurent. « Je reste en vie pour que justice soit faite, dit l’une d’entre elles. Mais l’affaire avance si lentement, et des victimes meurentJe fais toujours confiance à la Cour, mais je veux crier au monde entier que nous sommes victimes d’un nettoyage ethnique dans notre propre pays. Les Janjawids et les FSR ont été créés par la dictature, et la justice que la Cour pourra rendre aux victimes du Darfour sera un symbole pour d’autres conflits. Je veux que les juges et tout le monde le sachent. » À l’issue des audiences, les juges entameront leur délibéré avant de trancher sur le sort du condamné dans les prochaines semaines.

RFI